Le rendement d’une liquidité insoupçonnée
Date : 2020-08-28
mise a jour en août 2021

L’industrie financière a été l’une des premières à comprendre le potentiel de l’immense quantité d’information qu’elle produisait, et à adapter ses méthodes en conséquences avec l’objectif de faire plus d’argent, plus vite et avec moins de ressources. Les algorithmes de trading existent depuis plusieurs décennies et ont atteint de tels niveaux de sophistication dernièrement que l’on cherche à minimiser la longueur des câbles raccordant les ordinateurs aux réseaux pour éviter que les ordres ne soient reçus 1 millième de seconde trop tard. Cela suppose cependant une chose essentielle : que le marché soit suffisamment liquide pour trouver des acheteurs quand l’ordre est de vendre, ou des vendeurs quand l’ordre est d’acheter.

Les marchés illiquides, eux, fonctionnent sur un tout autre rythme et il n’existe pas sur Terre de câble si long qu’il pourrait compromettre une transaction de Private Equity par exemple. Sur ce type de marché, exécuter un ordre a la vitesse de la lumière n’est d’aucune aide pour faire plus d’argent, plus vite et avec moins de ressources. En revanche, trouver de la liquidité peut le permettre et, pour ça, la data peut aider. Encore faut-il la trouver car les marchés illiquides sont souvent les moins transparents en termes d’information.

Bien que méconnu du grand public, le marché du Private Equity n’est pourtant pas négligeable : tous les ans depuis 2013, 200 à 300 milliards de dollars sont levés dans le monde par des fonds visant à acquérir des sociétés privées en ayant souvent recours à l’effet de levier. Et chaque année depuis 2015 a l'exception de 2016, plus de 500 milliards de dollars ont été investis dans ce type de transactions.

Volume Annuel de Transactions de Private Equity - en milliards de dollars.
Source : Dealogic

Dans cette industrie, la convention de marché est d’exprimer la valeur des sociétés par un produit du résultat opérationnel avant dépréciation et amortissements (EBITDA) et d’un multiple (EV Multiple). Le profit réalisé par ces fonds sur une transaction provient dont de 3 sources principales :

  • Désendettement par la génération de cash durant la durée de détention
  • Augmentation de l'EBITDA : qui peut être le résultat d’actions concrètes des Managers, mais aussi d’un contexte de marché favorable.
  • Augmentation du multiple : principalement influencé par des dynamiques de marché puisque toutes les sociétés au profil similaire (taille, secteur…) peuvent s’attendre à avoir un multiple d’acquisition similaire
Décomposition de la création de valeur en Private Equity (illustratif)

Toute approche par la « data » dans l’industrie du Private Equity, passera nécessairement par le suivi de ces trois sources de création de valeur. Mais un aspect essentiel sera de suivre un nombre suffisamment important de sociétés pour que des dynamiques de marché puissent être identifiées de façon statistiquement significative. Et ce dernier point représente un obstacle majeur car les fonds de Private Equity ont généralement des portefeuilles très concentrés avec moins de 30 actifs, souvent moins de 20 et parfois moins de 10. Avoir accès a un échantillon statistiquement significatif nécessite d’investir dans plusieurs dizaines de fonds, peut-être même des centaines. Même en supposant que le capital ne soit pas un facteur limitant, obtenir une exposition a un tel nombre de sous-jacents peut prendre des années compte tenu des cycles relativement longs dans le secteur (une levée de fonds tous les 3 a 5 ans et 3 a 5 ans pour investir les fonds levés - puis au moins autant pour vendre les actifs).

La solution a ce problème se trouve dans une niche encore plus méconnue de ce marché : le segment des transactions secondaires de portefeuille de Private Equity. Sur ce segment, certaines transactions peuvent être initiées par les fonds de Private Equity cherchant a renvoyer du capital a leurs investisseurs d'origine sans devoir nécessairement vendre les participations. Mais dans environ 70% des cas, ce sont les investisseurs institutionnels eux-mêmes qui prennent l'initiative de vendre des portefeuilles entiers d'expositions dans des fonds de Private Equity, principalement pour des raisons de rééquilibrage de bilan, parfois en lien avec des contraintes règlementaires. Le volume de ces transactions a fortement progressé depuis 20 ans pour atteindre près de 90 milliards de dollars en 2019 (données mises a jour en Aout 2021).

Volume Annuel de Transactions Secondaires - en milliards de dollars.
Source : Greenhill Cogent Secondary Market Trends & Outlook

Les acheteurs sur ce marché sont très peu nombreux puisqu’une dizaine de plateformes seulement, avec chacune des fonds de plus de 5 milliards, captent l’essentiel des volumes. Chaque transaction peut représenter plusieurs milliards de dollars, et impliquer des expositions dans des centaines de fonds donc des milliers de sociétés. Ces transactions sont le moyen le plus rapide pour constituer un portefeuille de Private Equity a la fois mature et extrêmement diversifié.

La significativité statistique des conclusions que l’on peut tirer d’un si grand volume d’information, permet de prédire avec une plus grande précision la survenance de cashflow à la suite de cessions de sociétés. Le rendement supérieur est une conséquence indirecte de cette meilleure visibilité sur la liquidité car elle permet de mettre en place un effet de levier supplémentaire, même minime. Et c’est probablement du point du vue du préteur que l’augmentation relative du rendement est la plus notable. Grace a une approche par la data, un préteur peut a la fois réduire le risque relatif et augmenter le rendement :

  • En partant du principe qu’indépendamment de son approche, le préteur reçevra un taux d’intérêt de marché pour un prêt collatéralisé par ce type de portefeuille1, la meilleure visibilité qu’il a sur les cashflows futurs conduit nécessairement a un moindre risque pour la même rémunération.
  • Le préteur se fait rembourser en priorité par les produits de cession des sociétés sous-jacentes (un méchanisme appelé cashsweep). Le préteur peut donc «cibler» des portefeuilles qui conduiront à un remboursement plus rapide des prêts. Comme il est habituel pour un préteur de percevoir une commission de participation lorsqu’il émet un prêt (de 0.5% a 1% du montant du prêt), plus le prêt est remboursé rapidement, plus courte est la durée sur laquelle est amortie la commission donc meilleur est le rendement.
  • A condition de mettre en place des systèmes d’information sophistiqués, comprenant notamment un certain degré d’intelligence artificielle, ce type d’approche permet aussi de réduire au minimum les couts opérationnels liés à l'origination et à la gestion du portefeuille.

Ce type d’approche est en train de devenir la norme chez les acteurs majeurs de Fond de Fonds Secondaires qui financent désormais souvent leurs acquisitions de portefeuille avec de la dette. Cependant, du coté des préteurs, il ne semble pas a ce jour exister d’acteur ayant choisit de mettre en place une stratégie résolument axée sur la data. On peut néanmoins faire confiance aux financiers pour ne pas laisser passer cette opportunité trop longtemps.


1Cette hypothèse reste à valider : le manque de profondeur du marché de la dette pour ce type de produit peut avoir des conséquences sur la transparence des prix, d'autant plus qu'il n'existe pas d'intermédiaires spécialisés (Debt Advisors) comme dans d'autres segments.


Sources :

Avertissement : je suis employé d'Ardian, l'un des leaders mondiaux sur le marché des transactions secondaires de Private Equity. Chez Ardian, je m'occupe de l'activité de NAV Financing depuis 2018. Cet article s'appuie intégralement sur les sources publiques citées ci-dessus, et ne constitue pas un conseil en investissement.
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