Un monde sans data

Début 2020, une pandémie mondiale a été à l’origine de plus d’un million de morts (bilan non définitif) et a provoqué un important ralentissement économique à l’échelle mondiale avec notamment un arrêt quasi-complet de l’économie pendant plusieurs semaines. Le risque statistique d’une telle pandémie était connu : si le Covid-19 est un virus nouveau dont l’émergence ne pouvait être anticipée, la probabilité qu’une épidémie de grippe tue plus de 2 millions de personnes sur la planète était estimée à 2% par an environ soit 1 fois tous les 50 ans1. C’est pourquoi des plans d’actions existaient dans la plupart des pays depuis des décennies, à un détail près : du fait de la mondialisation, tout irait plus vite qu’anticipé 20 ou 30 ans auparavant et les conséquences sanitaires et économiques du virus allaient être bien plus importantes.

Statistiquement, il existe de nombreuses menaces dont les probabilités sont du même ordre et dont les conséquences économiques pourraient être au moins aussi importantes qu’une pandémie mondiale. En Juin 2020, les analystes de Deutsche Bank ont par exemple proposé une liste d’événements incluant une guerre mondiale, une éruption volcanique équivalente a celle du Tambora en 1815 – 1000x plus massive que la « petite » éruption islandaise qui a paralysé une bonne partie de l’espace aérien européen en 2010 – et enfin une éruption solaire massive, ou plus exactement une éjection de masse coronale (EMC), c’est-à-dire la projection d’un large volume de particules magnétisés depuis la couronne solaire vers la Terre.

De ce dernier risque, la plupart des gens n’ont qu’une très vague idée, et rares sont ceux qui d’une part ont conscience de la probabilité (1.06% par an2) et qui, d’autre part, prennent la pleine mesure des conséquences pour la société a une époque où l’électricité, le wifi et la Data sont devenus des ressources quasiment aussi vitales que l’eau et l’air.

La raison pour laquelle cette menace est ignorée est que, malgré les cycles d’activité solaire de 11 années, la Terre a bizarrement été épargnée par des éruptions majeures dans un passé récent. Au pic de chaque cycle solaire, le soleil émet près de 3 EMCs de puissances variables par jour contre 1 par semaine au minimum du cycle solaire. Autant dire que le fait que la Terre ait été épargnée depuis si longtemps relève de l’anomalie statistique.

La plus importante EMC documentée a atteint la terre en 1859: à l’époque, des poteaux télégraphiques ont pris feu, des opérateurs des services télégraphiques ont été électrocutés et des aurores boréales ont pu être observées jusqu’à des latitudes tropicales. En 1989, une panne de courant plongeant la ville de Québec dans le noir pendant près de 12h a été associée à un phénomène de bien moindre ampleur. Et en juillet 2012, une EMC potentiellement destructrice a évité la trajectoire de la Terre de seulement quelques mois.

Dans l’imaginaire collectif, ce phénomène est associé aux éruptions ou protubérances solaires dont on peut voir des images ou des représentations à la télévision. Si l’EMC se produit souvent en même temps qu’une éruption solaire, il n’est pas certain que les deux phénomènes soient nécessairement liés. Le phénomène d’EMC n’est pas totalement compris mais semble se produire en conséquence d’un déséquilibre momentané du champ magnétique de la couronne solaire. Le déséquilibre proviendrait du paradoxe entre la tendance à l’expansion des corps très chauds (tels que Soleil) et la tendance à la contraction due à la forte attraction gravitationnelle des corps très massifs (tels que le Soleil). Et c’est l’expulsion de particules (électrons et protons) au champ magnétique très élevé via les EMC qui permettrait le rétablissement de l’équilibre. En cas de projection en direction de la Terre, les particules peuvent mettre entre 13 heures et 86 jours pour atteindre notre planète, en moyenne 3.5 jours.

Le 31 Aout 2012, une EMC a envoyé des particules dans l'espace a une vitesse de 1,500 km par seconde. l'EMC a évité la trajectoire de la Terre mais est rentrée en contact avec son champ magnétique, provoquant des aurores le lundi 3 Septembre. Ci-dessus une photo combinant les longueurs d'onde de 304 et 171 angstrom. Credit: NASA/GSFC/SDO

Le champ magnétique terrestre est notre principal rempart empêchant la plupart des « vents » solaires d’atteindre notre atmosphère. Les régions se situant au-dessus des pôles magnétiques sont d’ordinaire les seuls points d’entrée car les particules suivent les lignes du champ magnétique et c’est par les pôles que ces lignes de champ partant du noyau traversent l’atmosphère en direction de l’espace. Lorsque les particules hautement magnétisées arrivent à entrer en contact avec les gaz présents dans l’atmosphère, cela provoque une émission lumineuse a l’image de ce qu’il se passe dans un néon.

Cette réaction est l’origine des aurores boréales et australes dans les régions polaires. Ceux qui ont été témoins de ces aurores savent que plusieurs couleurs sont visibles, et cela correspond à des concentrations de différents gaz à différentes altitudes de l’atmosphère.

En cas d’EMC massive, le champ magnétique terrestre peut être trop faible pour repousser le champ magnétique des particules arrivant du soleil : imaginez deux aimants, le plus faible s’alignera toujours avec le champ magnétique du plus fort. C’est ainsi que ces particules peuvent pénétrer l’atmosphère à n’importe quelle latitude comme illustré dans cette animation ( EMC de 1859 à 1'25 »). C’est notamment ce qui explique que des aurores aient été observées depuis Cuba ou Porto Rico en 1859.

Pour notre société moderne, un évènement d’une telle ampleur pourrait avoir des conséquences cataclysmiques car ses effets ne se limiteraient pas à un spectacle lumineux dans le ciel.

Avant même d’atteindre la Terre, ces particules peuvent faire des dégâts dans l’espace, en particulier sur les circuits électriques des satellites, provoquant des perturbations majeures pour nos systèmes de communications. Il en va de même pour les systèmes navigation GPS. La plupart des satellites ont des systèmes de protection pour éviter que les circuits électriques soient totalement détruits, mais les particules interféreraient avec les signaux entre la Terre et ces satellites, les rendant inutiles.

Sur Terre, les boussoles seraient inexactes durant toute la durée de l’orage, interférant avec le peu de systèmes de navigation ne dépendant pas d'un réseau satellitaire déjà hors service. Les particules interfèreraient aussi avec les ondes radio. Tout le trafic aérien et une grande partie du trafic maritime devraient être interrompus. A cause du champ magnétique des particules solaires, un courant électrique serait généré dans tous les matériaux conducteurs exposés. Ainsi, toutes les lignes à haute tension et transformateurs seraient à risque de surtensions qui pourraient les détruire s’ils ne sont pas arrêtés ou si leur utilisation n’est pas sensiblement réduite préventivement. La planète entière pourrait donc se retrouver sans électricité pendant plusieurs jours car il s’agirait d’arrêter intégralement les infrastructures électriques puis de les relancer de façon sécurisée. Donc plus de lumière, plus de réfrigérateurs, plus de moyens de paiement et plus de réseau mobile ou d’internet. Et évidemment plus de data. Donc probablement plus de système bancaire, plus d’eau car les systèmes de répartition d’eau dans les villes modernes sont contrôlés électroniquement et certainement une catastrophe sanitaire avec des hôpitaux sans eau, sans électricité et sans accès à l’information dématérialisée. Même si les petits appareils électriques ne seraient a priori pas exposés à des dommages importants, il n’y aurait plus d’électricité pour les alimenter ou les recharger.

Et puisque nous parlions au début d'article d’un risque de guerre mondiale, sachez qu’en 1967, une EMC a failli être à l’origine d’une guerre nucléaire : à l’époque, le champ magnétique des particules solaires avait interféré avec les radars balistiques américains, ce que l’armée américaine avait interprété comme un brouillage intentionnel de l’armée soviétique. Des bombardiers nucléaires de contre-attaque ont failli être lancés par les Etats-Unis. Fort heureusement de nos jours les météorologues solaires sont capables d’identifier ces phénomènes à leur départ de la couronne solaire, et donc de laisser environ 3 jours pour arrêter les satellites et infrastructures électriques… en espérant qu’ils redémarrent sans trop de difficultés.


1 Madhav et al, 2017
2 Riley, 2012

Sources :
  • Deutsche Bank Research : After Covid : The next Massive Tail Risk, June 2020
  • What if : What if a Massive Solar Storm hit the Earth, Youtube, April 2019
  • Nasa : Impacts of Strong Solar Flare, nasa.gov, May 2013
  • Wikipedia
  • Wired.com
  • NewScientist : a tech-destroying solar flare could hit the Earth within 100 years, October 2017
  • Sciencing : What effects can solar flares have directly on the Earth, April 2017
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